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  • Photo du rédacteurMarie

J'ai rencontré René Descartes (ft Le Bizarreum)


Grande curieuse de la vie (et de la mort), j’avais envie de vous partager aujourd’hui un article un petit peu différent. Différent de par son thème, mais aussi de par sa forme, car aujourd’hui j’ai la chance d’avoir reçu les lumières de la brillante Juliette Cazes du Bizarreum. Préparez-vous à plonger dans une aventure un peu spéciale, mêlant insolite, collaboration, pensées, photographies et illustrations.


Tout commence à Paris début Janvier. Je me suis rendue au Musée de l’Homme pour pouvoir enfin profiter de sa récente restauration. Et je n’ai pas été déçue. J’ai même été subjuguée par l’intelligence et la forte sensibilité de cette muséographie moderne et épurée. Quelque chose de très féminin flotte dans l’air, et c’est l’esprit de Zette Cazalas, scénographe en charge du projet. Tout appelle à la contemplation et à l’éveil des sens, ici on observe, on écoute, et surtout on touche. Ici peu d’interdits, le public est au contraire invité à toucher, jouer, se filmer, pour une découverte sensorielle des plus palpitantes. Le visiteur est à 3000% actif. Ce n’est pas une visite mais bel et bien une expérience sensorielle dans laquelle on se plonge. À mes yeux c’est un sans faute : la curiosité du visiteur est mise à toute épreuve, et c’est une bouffée d’air frais quand on a été élevé avec la fameuse phrase « on touche avec les yeux ». Et bien non ! En fait, on touche bien avec les mains !


Le superbe mur de langues du Musée de l'Homme. ©Marie

Il faut que je vous parle d’une drôle de rencontre. En passant devant une de ces sublimes vitrines aux allures de cabinet de curiosités, je vois, lové à côté d’un plâtre d’orang-outan et d’un squelette de chimpanzé, un crâne humain mystérieux orné de ce qui semble être des inscriptions anciennes. On ne peut qu’avoir envie de s’approcher de cette vitrine, avec l’espoir de déchiffrer cette encre effacée sur la surface de ce crâne gris, presque nacré.


La vitrine du crâne de Descartes, Musée de l'Homme ©Marie

Je cherche alors la description de cette pièce insolite pour comprendre face à quoi (à qui?) je suis, et là choc total : je suis face au crâne de… René Descartes. Tout à coup, une foule de questions me frappent : Le vrai Descartes ? Mais qu’est ce qu’il fait dans une vitrine ? Il est où le reste de son squelette ? Pourquoi ici ? Mais on a le droit de conserver des restes humains comme ça dans un musée ? Cet homme ne devrait pas avoir une vraie sépulture quand même ? Comment sait-on que c’est le vrai crâne ? Parce que, dans le musée, il y a d’autres crânes qui sont des moulages. Du coup celui-ci est-il réel ? Parce que, si ce n'est pas le vrai, je ne m’autoriserai pas toutes ces émotions… Attends quoi?

Après avoir bugué 20 bonnes minutes devant ce cher René et l’avoir observé sous toutes ses coutures, je continue ma visite en croisant de nombreux restes humains, squelettes d’enfants, fossiles et crânes divers. Et devant chaque vitrine, j’ai cette vision un peu étrange incontrôlée d’imaginer à quoi ressemblaient ces personnes de leur vivant. Qui étaient-ils? Et comment finit-on par avoir sa dépouille dans une vitrine publique? Deux grandes problématiques se bousculent alors dans ma tête : la question de l’intégrité des restes humains dans les musées, et pourquoi cette forte fascination ressentie devant de vrais restes. Et puis il y a Descartes qui me turlupine et comment son crâne s’est retrouvé dans cette vitrine. Laissez moi vous raconter donc, la folle histoire du crâne de Descartes, s’il-vous-plait.

La folle histoire (post mortem) de René Descartes

« Cogito ergo sum »


Gravure de Gérard Edelinck, BNF

René Descartes est considéré comme le fondateur de la philosophie moderne. Il raconte que le 10 Novembre 1619 il se réveille d’une série de rêves lui ayant soufflé qu’il était « destiné à unifier tous les savoirs de son temps dans une science admirable dont il serait l’inventeur». Géométrie, mathématiques, astronomie, physique, Descartes touche à tout et souhaite mettre de l’unité dans la science, pour la parfaire et la rationaliser. Il marquera les esprits aussi par son concept d’animal machine, dénué d’esprit et de sensibilité, la nature étant un matériau n’existant à ses yeux que pour être au service de l’Homme qui est son « maitre et possesseur». Un peu le comble de finir avec son crâne entouré d’un orang-outan et d’un chimpanzé, et à la fois ça prend tout son sens …


Nous pourrions passer des heures à parler de son travail, mais, intéressons-nous plutôt comme prévu à sa dépouille et, bien sûr, à son fameux crâne.


- Première inhumation : Descartes meurt donc le Jeudi 11 février 1650, dans le palais royal de Stockholm en suède où il séjourne sur invitation de la reine Catherine. Coup de froid? Pneumonie? Empoisonnement? Les causes restent mystérieuses. Il fut alors inhumé dans le cimetière suédois Adolf Fredrik, où il reposera tranquillement pendant 16 ans.


- Deuxième inhumation : Car ,en 1666, l'ambassadeur en Suède Hugues de Terlon est missionné par Louis XIV pour rapatrier sa dépouille. Descartes est alors exhumé le 1er Mai 1666, et Terlon transfère ses restes dans une boite en cuivre de 80cm de long (c’est quand même plus pratique à transporter). Bon alors, Terlon a quand avoué avoir prélevé juste un petit os pour lui même : l’index droit du philosophe, qui je cite « avait servi d’instrument aux écrits immortels du défunt ». Ah! Donc on y vient ! À ce côté fascinant, immortel, intemporel. Quand un homme marque l’Histoire, il semble que sa dépouille passe au rang de relique assez rapidement. Donc, Descartes, a perdu son index droit ce jour-là pour le plaisir personnel d’un grand fan, et devient déjà à ce moment là un objet de convoitises. Mais ce n’est pas tout ! Les restes de notre homme arrivent sans encombre à Paris après plusieurs mois de voyage, et la dépouille est inhumée en Juin 1667 à l’abbaye Ste Genevieve de Paris, sous un joli monument de marbre. La voilà enfin! La sépulture chrétienne en terre française que mérite Descartes, et voici sonnée l’heure du repos éternel pour ce grand homme… Ou pas. Parce que l’histoire ne fait que commencer.


- Le crâne manque à l’appel : Bon alors, en 1792, il s’est quand même passé un truc important : la Révolution française. Ce qui n’a pas servi à notre très chère abbaye qui est par la suite tombée rapidement en ruines. Et René dans tout ça alors? Bah ! Oui ! Pauvre René quoi ! Voyant sa paroisse complètement détruite, l’abbé de Sainte-Geneviève demande expressément à Alexandre Lenoir, fondateur du musée des monuments français, de s’occuper des tombeaux et des restes qu’ils contiennent. Mais son rapport fait état d’un fait mystérieux : le crâne de Descartes manque à l’appel. Bon, au passage, Lenoir avouera avoir au passage récupéré un « petit os plat » de Descartes, afin de faire des bagues pour ses amis. Pauvre vieux . Mais bon, il est où ce crâne du coup ?


- Troisième inhumation et retour du crâne : Pour l’instant, on ne sait pas où il se trouve. Mais les restes sont ré-inhumés (pour la troisième fois quand même) à l'église Saint-Germain-des-Prés de Paris, où ils reposent enfin en paix depuis le 26 février 1819. D’ailleurs le chimiste suédois Berzelius assiste à cette troisième inhumation. Et cet homme nous intéresse tout particulièrement puisque c’est lui même qui va faire avancer le cours de l’histoire du crâne de Descartes. Le 1er mars 1821, Berzelius tombe sur un article de journal dans lequel est relaté que le crâne du célèbre Descartes a été vendu aux enchères. Berzelius retrouve l'acheteur, un certain Arngren, lui rachète le crâne puis l'envoie en France à un célèbre anatomiste français : Georges Cuvier, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. Il est alors étudié, et plus ou moins identifié en faisant des comparaisons anatomiques croisées avec des portraits de Descartes.


Le crâne de Descartes, Musée de l'Homme. ©Marie

Le crâne fascine par ses nombreuses inscriptions apposées par ses anciens propriétaires, un peu partout sur sa surface, renforçant le mystique de celui-ci. Sur le dessus, figure un poème en latin en écriture cursive:


"Parvula Cartesii fuit haec calvaria magni,

exuvias reliquas gallica busta tegunt;

sed laus ingenii toto diffunditur orbe

mistaque coelicolis mens pia semper ovat."


Ce poème qui aurait été écrit par M. Sven Hof, directeur d'école de la ville de Skara en Suède, un de ses propriétaires, peut se traduire de la façon suivante :


"Ce petit crâne fut celui du grand Cartesius

Des sépultures en France recouvrent le reste de sa dépouille

Mais la louange de son génie se diffuse sur tout le globe

Et son esprit sacré se réjouit sans cesse parmi les dieux »


Sur le front du crâne est aussi inscrit en suédois: "Le crâne de Descartes, pris par J. Fr. Planström l'an 1666, lorsqu'on devait renvoyer le cors en France". (traduction faite par Jöns Jacob Berzelius).


On peut en déduire que le crâne aurait été volé lors de la première exhumation de René.

L’encre témoigne de la fascination de ses détenteurs pour le philosophe. Elle marque et pénètre l’os. On imagine que chaque personne ayant apposé sa plume sur la surface du crâne a pu ressentir l’envie de se dire qu’il faisait partie de l’histoire du philosophe, comme le ferait l’encre indélébile d’un tatouage sur un corps. Comme on signe une oeuvre qui nous appartient. Un genre de tag. Et le respect alors ? Par leur écriture, ces voleurs deviennent importants, et font à tout jamais partie intégrante de cette histoire post mortem, apposant leur présence comme on appose un épitaphe sur un marbre funéraire. En tout cas, grâce à ces inscriptions, il est admis que le crâne a été volé par Isaac Planström, un officier des gardes de la ville de Stockholm chargé de la première exhumation en 1666. Mais rien de certain, ce crâne reste ancré de mystère encore aujourd’hui. Il a été aussi la source de nombreux débats: intégrité, authenticité, destination, ré-inhumation, Panthéon… Mais il restera au Jardin des plantes, puis sera transféré au Musée de l’Homme. Il existe également, 5 autres crânes, étant attribué à René Descartes, mais celui-ci semble être le bon.


Après cette visite au Musée de l’Homme, où le même jour j’ai pu croiser le crâne plutôt insolite de Descartes, et rencontrer de nombreuses momies, j’en ressors avec un mélange d’émotions particulier et la tête remplie de questions. Mais qui pour y répondre ?

Le Bizarreum ©Juliette Cazes

L’envie de titiller Juliette me traverse l’esprit. Juliette Cazes vulgarise le sujet de la mort et de la thanatologie depuis plusieurs années sur Le Bizarreum (son site web), mais aussi sur Youtube et en podcast. Logisticienne d’expéditions scientifiques, elle a étudié la mort par le biais de l’archéologie, de l’anthropologie classique et biologique, et de la conservation muséale autour de collections de médecine d’anatomie. Juliette nous transporte, nous fait voyager, rêver, rire, et nous montre que la mort n’est pas simplement synonyme de morbide. La mort, c’est une histoire, des cultures, des couleurs, de l’insolite. Son site internet est comme un cabinet de curiosités numérique : le moindre clic vous transporte vers un petit trésor d’écriture. Et aujourd’hui elle a chaleureusement accepté de répondre à mes questions. Voici donc la première.


- Juliette, peux-tu me dire ce qu’il en est de la conservation de restes humains dans les musées? Au niveau de la loi ça se passe comment ? Pourquoi ces dépouilles n’auraient-elles pas droit à une sépulture qui leur est propre comme tout le monde par exemple ?


" C’est une question très importante dans plusieurs domaines de la recherche qui concerne les restes humains. Des colloques entiers dans le monde se basent sur les questions autour de l’éthique en lien avec le traitement des défunts anciens. On les retrouve autant en archéologie, qu’en anthropologie et enfin muséologie et par conséquent en conservation muséale. A mon sens il faut déjà distinguer dans les musées plusieurs types de restes humains :


- Les corps momifiés (de façon naturelle ou artificielle)

- Les ossements

- Et enfin les tissus mous et autres éléments humides conservés en jarre de formol ou bien plastinés, écorchés autrement dit toutes les conservations qui ne rentrent pas dans les deux catégories citées au-dessus.


Ensuite on va déterminer plusieurs éléments dans ces catégories :


- Pour les corps momifiés, si ces derniers sont étrangers et proviennent de trafics, de ventes légales à un moment donné ou bien de rapatriements lors de voyages ou lors d’implantations coloniales, c’est un des sujets brûlants à l’heure actuelle car cela rejoint des questions de conservation et de restitution. Des sujets qui sont loin d’être évidents car ils jouxtent les questions sur les conditions de conservation, les lois des pays mais aussi celles liées au déplacement des corps et enfin celles sur les conditions géopolitiques car une restitution peut être un acte politique (tout comme un refus de restitution peut être un outrage diplomatique).


Pour les momies naturelles ou faites à la main en France/Europe, leur exposition en musée ou en crypte tient plutôt de l’opportunisme dans le premier cas et de l’intérêt médical dans le second cas.


- Pour les ossements, nous avons les ossements archéologiques, les ossements médicaux mais aussi les reliques religieuses ou profanes à ne pas négliger.


- Les tissus mous, écorchés et autres contenants à formol entrent souvent dans le cadre des galeries d’anatomie comparée que l’on retrouve aussi bien dans les musées d’histoire naturelle que dans les conservatoires d’anatomie et de médecine. Ils sont initialement créés et conservés dans un but pédagogique et sont actuellement des pièces muséales protégées car l’histoire médicale est très importante pour le patrimoine scientifique et ces pièces en font partie.


La question de la sépulture est alors difficile à préciser. Déjà notre propre vision de la sépulture. Pour ma part, les personnes qui me posent la question voient la sépulture comme la maison finale du défunt : en terre, en chambre ou en urne. Mais en réalité la sépulture est très variable d’une culture à une autre et en soi, un lieu de sépulture peut très bien s’avérer être une niche en bois avec le crâne dedans de l’ancêtre car son âme y réside : exemple avec les mokomokai de Nouvelle-Zélande et du Tonga ou encore les ñatitas de Bolivie.


Robley et sa collection de têtes Mokomokai

Ensuite la seconde question qui rejoint souvent celle de la sépulture c’est de savoir si l’archéologue est un pilleur de tombe. Bien sûr, une fouille de sépulture ou d’un bûcher par les archéologues ne peut en termes de déontologie et de protocole être assimilée à un pillage car l’archéologue lutte contre ce dernier de façon permanente. Pour les pillages, pendant très longtemps et encore maintenant dans beaucoup de pays, autant pour les objets et mais aussi parfois pour les corps ce dernier a été un acte d’une banalité affligeante et surtout loin d’être nouvelle car on retrouve des traces de pillage déjà dans des chambres funéraires pendant l’antiquité. Il ne faut pas oublier que c’est un fond de commerce très important pour beaucoup de gens malheureusement car le corps est lui-même une pièce de collection et ses objets d’accompagnement encore plus.


Une fois cette parenthèse faite, on constate que les musées sont remplis aussi bien de corps issus de fouilles archéologiques si ces derniers ne sont pas laissés sur place ou consignés en ostéothèque. Ils jouxtent des corps trouvés à d’autres époques et pouvant alors être le fruit du pillage ou bien d’échanges diplomatiques voire de transactions normales entre collectionneurs à une époque donnée et finissant dans des musées par le biais de ces collectionneurs les conservant alors sur place ou en faisant donation. Tous ces éléments occasionnent alors des questions autour des restitutions ce qui désengorgeraient beaucoup les collections muséales mais qui représentent d’un point de vue législatif quelque chose de très long, très compliqué avec parfois des lois à faire voter à l’hémicycle spécialement pour l’occasion (toujours l’exemple des mokomokai). En termes de proportion selon l’OCIM (Observation Coopération Informations Muséales), les restes humains dans les collections publiques représentent :


- 73.20 % proviennent de l’archéologie

- 26 % de l’anthropologie et de l’anatomie

- Ethnologie et égyptologie

- 0.50% chacune -Reliques chrétiennes et reliques laïques 0,70% et 0,10 %


On constate ainsi que les ossements archéologiques sont majoritaires et c’est dans ce domaine qu’a eu lieu un colloque passionnant fait par l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) appelé Archéo-éthique autour de la gestion des restes humains.


Suite à des fouilles dans le cadre de l’archéologie programmée ou préventive, la conservation des ossements s’avère être un élément important pour l’étude de ces derniers par la suite en post-fouille, car l’analyse anthropologique ou toute autre étude autour des corps retrouvés doit se faire en dehors du terrain, et surtout pour une analyse plus poussée qu’elle soit à propos du squelette ou en cas de prélèvement. Alors, le déplacement des corps et de leurs objets les prive en effet de sépulture. Ce qui est problématique d’un point de vue éthique mais se justifie d’un point de vue de la conservation, de l’étude et de la protection car un corps sauvé d’un terrain en proie à des travaux ou au pillage est toujours un corps dont les bénéfices n’iront pas dans la poche d’un trafiquant. Car rappelons-le, juridiquement parlant, le plus important pour un mort et son traitement mais aussi de respecter son intégrité, que ce dernier soit récent ou ancien. Toutes ces questions, nous en sommes au tâtonnement car pendant longtemps le corps muséal et de la recherche ne les ont pas creusées. Mais je suis très enthousiaste sur le fait que les choses vont avancer et que ces questions autour du traitement des corps avanceront également. Mais loin d’être oubliée, la conservation des restes humains est une des questions bouillante et préoccupante des conservateurs en poste et en formation."

Foetus, Musée de l'Homme. ©Marie

Voici lumières faites sur cette question d’intégrité des restes humains dans les musées. L'envie de collectionner, conserver, exposer les restes humains semble avoir toujours été une fascination. Mais, pourquoi justement cette fascination et pourquoi ressent-on toutes ces émotions face à ces restes? Si cette fascination n’existait pas, personne n’aurait dérobé les os de notre cher René, soyons clairs.


Voilà qui vient me conforter dans cette sensation merveilleuse que j’ai pu ressentir en étant face à ce crâne presque magique de par son esthétisme et son histoire. Cette boite à pensées, de son vivant ou de sa mort, témoigne d’une histoire forte, qui a marqué la nôtre. Le crâne est le siège de la pensée, et la partie du squelette la plus impressionnante de notre corps, la plus mystérieuse. La vision d’un crâne génère cette peur de la mort qui flotte au-dessus de nous, nous rappelant que nous ne sommes pas immortels. « hominem te esse memento » (souviens-toi que tu n’es qu’un homme) chuchotait l’esclave au général romain lors de la cérémonie du triomphe dans les rues de la Rome antique. Bon, je n'irai pas jusqu’à braquer le Musée de l’Homme pour mettre Descartes dans mon salon, mais je dois avouer comprendre en un sens cette complexe fascination. Seulement, de fascination à possession, il y a du chemin… J’ai aussi remarqué que souvent, quand j’observais des crânes, j’avais cette espèce d’émotion complexe de me dire que j’avais devant moi le témoin d’une histoire particulière, très intime, me sentant presque dépassée ou toute petite. Même sensation que je ressens quand je suis face à des ruines très anciennes, par exemple. J’en déduis que la notion de temps est importante dans la naissance de cette émotion : plus c’est vieux, plus c’est émouvant. Le temps mais aussi, le fantasme et l’imaginaire. Lorsque l’on est face à ces pièces, on se pose un milliard de questions : quand? Comment? Pourquoi? Qui… Et ces questions, auxquelles seul l’objet à les véritables réponses, génère un aspect mystérieux plus fort que tout. L’imagination tente de nous donner des réponses, en fantasmant l’homme bien en chair autour de ce crâne, les émotions qu’il a pu ressentir, ses joies, ses peines, ses doutes. C’est un genre d’expérience de l’empathie hyper immersive.