Mes trois coups de coeur lecture du mois de Décembre !
Ce mois-ci on va se plonger dans un univers à la fois touchant et bordé d’humour noir. Trois ouvrages, trois mondes bien différents mais unis par l'amour de la vie et des sciences. Et une révélation bouleversante. C’est parti.

1) Tu mourras moins bête ! Tome 1 : la science, c’est pas du cinéma ! De Marion Montaigne

On connaissait le (la) professeur(e) Moustache au travers de ses aventures animées sur Arte, et sur les planches du blog de Marion Montaigne, mais quand j’ai vu que 5 tomes étaient sortis autant vous dire que c’était sur ma liste du père Noël direct. Ces dessins, ces histoires, très virtuels pour le moment sont ENFIN sur papier. Joie. Et honnêtement, ça marche vraiment mais alors vraiment très bien !
Le professeur Moustache répond habituellement aux questions folles et étranges de ses internautes. À chaque fois, on se dit « putain c’est quoi cette question débile? », mais avec le professeur Moustache, pas de question bête, tout est rattaché à une science, et tout s’explique. Il n’y a de la magie nulle part, et à la fois partout au travers de ces dessins colorés et fous. Marion Montaigne a une imagination sans limite et trouve des analogies à tout. Une véritable prouesse créative et intelligente. Un coup de baguette magique Montaigne et hop, Marion vous explique, par exemple, pourquoi les bébés humains sont moches à la naissance (à lire sur son blog). Simple non?
Pas tant que ça. Marion soigne son écriture et surtout, source les informations qu’elle délivre en allant parfois elle-même sur le terrain. En 2015 Marion Montaigne est allée suivre pendant 2 ans l'astronauteThomas Pesquet pendant sa préparation puis pendant sa réadaptation à la vie terrestre, à Houston, à Moscou, au centre de lancement de Baïkonour et à Cologne. Rien que ça. Cela a donné naissance à un album, Dans la combi de Thomas Pesquet, qui retrace le parcours de près de 200 jours de l'astronaute dans la station spatiale internationale (ISS).
Marion Montaigne travaille dans un souci d’exactitude scientifique, et ça se sent. Du coup, on se laisse glisser sur ce flot d’anecdotes en toute sécurité. Elle réconcilie cet enfant peureux au fond de nous qui n’a jamais été bon en SVT, et qui n’était d’emblée pas assez bon pour faire des sciences tout court, hein? Marion est la prof qu’on aurait adoré avoir, celle qui te fait marrer en te délivrant des connaissances extraordinaires.

Tout cela soulève une problématique qui revient souvent à mes yeux : quelle place tient le langage dans le fait de délivrer des connaissances? Alors évidemment, le langage purement scientifique est indispensable, mais comment prouver à n’importe qui que la science est magique et qu'elle regorge de choses fabuleuses ? Pour moi la réponse est claire : le langage, par le dessin ou bien vulgarisé, intrigue, et accroche les nouvelles générations. Avant de passer à des ouvrages scientifiques purs et durs, il est indispensable dans une première phase de capter la curiosité, pour ensuite bien sûr aller plus loin. Ce sont ces curieux qui deviendront plus tard chercheurs ou scientifiques. Sans ce langage, l’accès à la science n’est possible que pour une très petite minorité, que ça soit clair. Petite, je vous l’ai déjà expliqué, on me tannait avec le fait que j’étais pourrie en sciences à l’école, alors que je rêvais d’être un coup vétérinaire, entomologiste, ou thanatopracteur. Quand on me demandait ce que je voulais faire enfant voici quelles étaient mes réponses. Pourtant, à partir de la 5ème on m’a fait comprendre que ce n'était pas possible vu mes résultats, et j’ai dû trouver d’autres rêves. Et c’est pourquoi aujourd’hui Marion est une des auteures m’inspirant le plus, elle capte non seulement la curiosité mais en plus de ça approfondit un sujet plus loin, en gardant le cap sur ses mots. À aucun moment on est largué, tout est limpide et en plus on s’amuse. Donc chapeau Marion, pour ton sublime travail. Tu prouves que même si on ne vient pas d’un milieu scientifique, en sourçant bien ses informations et en trouvant son langage, on peut parler mieux de sciences que n’importe quel scientifique. Et c’est exactement pour ces raisons qu’aujourd’hui j’ai décidé de lancer mon blog et ma chaine Youtube.
Le premier tome de Tu mourras moins bête lève le voile sur toutes ces questions qu’on n'a jamais osé poser en regardant des films ou des séries. Est ce que l’hibernation des astronautes sur un trajet Terre Mars est vraiment possible ? Si un astronaute mourrait pendant la mission, on ferait quoi de son cadavre ? C’est chouchou Grey’s Anatomy, mais est-ce que ça se passe vraiment comme ça dans la vraie vie ? Bref, on dévore les pages en se marrant, et on ne voit plus pareil tout ce qu’on regarde par la suite. On pourrait croire que Marion démonte complètement la magie du cinéma, mais au contraire, elle nous prouve que derrière l'illusion de l'image se cache une réalité scientifique à comprendre, encore plus magique que ses effets spéciaux, pour encore mieux encore se délecter de ses séries préférées par la suite.
Merci Marion.
Tu mourras moins bête, tome 1: la science c'est pas du cinéma !
de Marion Montaigne
(4 autres tomes disponibles)
15,90€
Éditions Ankama 2) Le bestiaire extraordinaire, de Patrick Baud et Eric Salch (hors série Axolotl)

Parlons ici d’une collaboration aussi étrange que merveilleuse: un scénario écrit par Patrick Baud, amoureux de la nature et de ses bizarreries, avec le ton et les illustrations trash d’Eric salch ( on pourrait l’appeler Eric Tralch), qui dessine entre autre pour Charlie Hebdo.
Nous voici donc face à une chimère, même dans son format panoramique et horizontal qui donne envie tout de suite d’être manipulé. Je vous préviens, vous tenez dans vos mains un véritable cabinet de curiosités de papier ! Dès l’introduction de Patrick Baud le ton est donné : « Imaginez. Vous avez un rendez-vous galant qui se déroule à merveille, quand tout à coup, la personne que vous convoitez vous mord, puis se colle à vous jusqu’à ce que vos deux corps fusionnent, dans le plus pur style The thing ». OK Patrick.
Accrochez-vous, ici on parle zoologie et reproduction, frôlant parfois le morbide dans chacune des (més)aventures des espèces que nous découvrons au fil des pages. Et pourtant, le morbide fait sourire car il est brillamment traité, et c’est toute la prouesse de l’ouvrage. On découvre, on apprend, et surtout on retient les informations par ce langage complètement taré et pourtant compréhensible que nous offrent ces pages. Chaque espèce est humanisée un maximum pour que l’on puisse se mettre à la place de ces bestioles et mieux comprendre le sens de leurs moeurs. Vous aurez beaucoup d’empathie pour Gérard le cafard, ne regarderez plus vos collègues du même oeil en lisant l’aventure de la fourmi Pichon, et pleurerez (de rire) face à la mésaventure de Jojo le crabe. On a envie de plonger dans ces pages et de devenir tout petit pour être témoin de ces actes sexuels des plus étranges (bande de petits voyeurs va!).

Vous y découvrirez donc une nature folle, incontrôlable et sans loi dans ce gang bang de textes et de dessins. L’ouvrage n’a rien d’une fresque romantique et érotique sur fond de musique à la RTL9 (sisi tu t’en souviens coquin), ici c’est plutôt séduction hard core à fin tragique. Parasitisme, pénis explosifs, vous serez servis en images traumatisantes et pourtant à mourir de rire! Salch nous époustoufle dans son style, et nous dépeint des portraits d’espèces à la manière de ses fameux « lookbooks » qu’il nous offrait déjà ces derniers temps, et c’est à crever de rire. On a l’impression d’avoir un prof de SVT sous acide qui nous raconte la reproduction dans la nature. Ce qui est super chouette c’est qu’on y trouve des espèces rares et peu connues, comme le kakapo ou le vers plat, ce qui souligne le côté insolite de l’ouvrage. Il met aussi en lumière des espèces méconnues, ce qui permet peut-être de les reconsidérer un peu et ça ne fait pas de mal. On s’attache par le traitement de ces histoires et on se sent presque ému devant ces jets d’urine ou ces pénis poignards.
L’ouvrage est en quelque sorte la progéniture d’un accouplement étrange entre Patrick Baud et Eric Salch et on se délecte vraiment de la naissance de leur progéniture (C’est le moment où je me suis dit « mais pourquoi j’ai écrit ça, c’est chelou un peu… Bon, ok, je laisse, c’est marrant quand même »). Merci.
Le bestiaire extraordinaire, hors série Axolotl
de Patrick Baud et Eric Salch,
Editions Delcourt
19,99 €
2) La recomposition des mondes, d’Alessandro Pignocchi

Je connaissais déjà Alessandro Pignocchi, j’avais le coffret de deux livres nommé Petit traité d’écologie sauvage dont j’étais tombée complètement amoureuse. C’est en passant dans cette petite librairie tarbaise hier (dans laquelle j’avais déjà trouvé L’Homme qui parlait la langue des serpents ) que j’ai croisé, au détour d’un rayon, son dernier ouvrage « La recomposition des mondes ». Ô joie ! Un nouvel ouvrage! La couverture m’intrigue. On y voit une salamandre, dressée et alerte, comme observant quelque chose. La salamandre est un symbole fort, elle incarne la résistance au feu, celle qui lorsque le bois brûle trouve rapidement le temps de s’extraire du brasier. À Chambord, la Salamandre est surmontée d’une couronne portant la devise Nutrisco et Extinguo, qui signifie « Je me nourris du bon feu, j’éteins le mauvais ». Elle crache des gouttes d’eau pour éteindre le mauvais feu ou avale les flammes pour se nourrir du bon feu. Au-dessus de cette jolie salamandre, on voit aussi une foule sombre s’activant à jeter des cocktails Molotov dans une certaine direction. C’est là tout le style d’Alessandro: on y trouve souvent un mélange intrigant de tendre douceur et de violence ou d’humour noir. Sans lire la quatrième de couverture, cette illustration forte annonce une histoire, voire, un combat. Et il y a ce personnage, comme paniqué mais qui s’active avec une caisse remplie d’on ne sait quoi, à l’écart de la foule mais au premier plan. J’ai eu un petit choc d’ailleurs en ouvrant le livre qui commence sur une citation de … L’Homme qui parlait la langue des serpents.
Alessandro, est un auteur discret. Vous ne le trouverez sur presque aucun réseau social, mais vous pourrez effleurer son univers au travers des articles de son blog et au fil des pages de ses ouvrages. Il est discret, et pourtant il a des idées biens trempées, mène des actions importantes. C’est ça qui frappe dans son style : il mêle une extrême douceur entre ses illustrations et ses écrits qui défendent des pensées qui mènent au débat, clamant haut et fort ce qu’il veut crier au monde. On se délecte de ses mésanges fluffy colorées qui ne mâchent pourtant pas leurs bavardages du haut de leurs branches par exemple.

Alessandro aime la nature. Elle est au coeur de ses ouvrages. Enfin nature… « Nature » est un terme qu’il débat pour nous faire comprendre qu’en nommant « nature » ce qui nous entoure nous avons créé une rupture entre l’Homme et celle-ci. L’Homme ne peut pas s’empêcher de mettre en cage tout ce qu’il perçoit dans ce qu’on appelle des « mots ». Dans « La recompostition des mondes », l’auteur est catégorique : la nature n’existe pas. Et quand on lit cet intitulé dans la BD, on a presque envie de sourire : enfin Alessandro, qu'est-ce que tu nous racontes t'es pas un peu perché? Et pourtant, c’est tellement rempli de sens. L'auteur nous explique que « notre concept de Nature qui, selon les contextes, peut englober les êtres, les phénomènes et les territoires les plus disparates, est une création occidentale, relativement récente ». L’Homme occidental créerait-il en fait lui-même les ruptures avec le monde dans lequel il évolue en imaginant systématiquement des mots ? S’élevant sans cesse au dessus de son environnement ?

J'ai été tellement déboussolée que je suis allée chercher plusieurs définitions du mot "nature". J'ai donc sorti l'Encyclopédie Universalis : "Nature : (...) Ce mot est la traduction latine du mot grec "phusis", du verbe phuein, dérivé de la racine "phu" qui désigne la croissance végétale. Physis (ϕ́υσις) est un des concepts fondamentaux de la philosophie grecque. Les Romains l'ont traduit par natura, mais le concept moderne de nature s'est trouvé engagé dans un certain nombre d'emplois, et surtout dans une série d'oppositions (nature et esprit, nature et grâce, nature et liberté, etc.), qui risqueraient de détourner l'historien des harmoniques elles-mêmes complexes de la notion grecque." Intéressant ! Le mot "nature" semble nous détourner d'un principe philosophique où la Physis semblait englober toutes les choses physiques. Le verdict tombe donc à mes yeux : le mot "nature" est un terme occidental qui sépare l'homme de son environnement. Et je suis sous le choc de cette révélation. Mais ce n'est pas tout.
Dans un article de Télérama, l’anthropologue Philippe Descola nous explique qu’en Amazonie "Les indiens Achuar traitent les plantes et les animaux comme des personnes”. « Les sociétés humaines conçoivent les relations entre humains et non-humains et « composent » ainsi leurs mondes. Car il n'existe pas, malgré les apparences, un monde donné qui serait le même pour tous, mais des mondes, dont chaque être (humain ou non humain), ou chaque collectivité, a une vision et un usage particuliers, liés à son histoire et à ses aptitudes physiques. ». « Les femmes Achuar traitent les plantes comme si c'étaient des enfants ». Je vous invite pour la suite à lire cet article sur l'aventure tentée, il y a quelques années, par Philippe Descola en pleine Amazonie (lien en bas de l'article). Alessandro Pignocchi a d’ailleurs vécu une autre expérience similaire. Dès lors, on comprend mieux que les pensées de ces deux hommes se rejoignent.
Je pourrais m’attarder sur cette notion durant des heures car cela donne une vision totalement différente des relations que nous avons avec notre environnement. Cela bouleverse le schéma d’une vie. Imaginez l’animisme au coeur de notre quotidien, où nous, humains et non humains, animés ou pas, communiquerions, écouterions, nous nous traiterions de la même manière. Où chacun de nous serait un genre de chaman… Je m’éparpille, mais cette vision m’a vraiment bouleversée dans La recomposition des mondes. Et pourtant, ce passage n’est que de quelques pages, car l’histoire centrale menant à cette réflexion se déroule dans la ZAD de Notre Dame des Landes.
Alessandro nous plonge dans un monde libre, où chaque personnage croisé sur la ZAD (même dans une seule bulle) est attachant et rempli d’amour. D’amour pour la « nature » (oups!) et pour la ZAD, mais surtout d’amour pour soi. Ici on est un humain, dans toute sa splendeur d’espèce collaborant avec les non humains. Et ça fait du bien ! Ici pas de hiérarchie, pas de société marchande. Humains et non humains s’apportent, et chacun échange. On y retrouve une société teintée du fonctionnement de ces peuples indiens d’Amazonie, prenant soin des plantes, des animaux, qui donnent à leur tour lorsque l’humain en a besoin. Ici on s’aime, on s’écoute, on ne prend pas à tout va, on n’arrache pas, on n'enlève pas. C’est un grand cercle vertueux, où chacun jongle sur une dimension du monde qui lui est propre en l’apportant à son prochain. Cette vision qui semble à la fois si simple et très complexe fonctionne à merveille, même au travers de violences subies par le peuple de la ZAD qui dut défendre sa façon de vivre. L'expérience bluffe notre auteur, qui en revenant de cette aventure, semble déboussolé, assit sur son canapé, à ne plus savoir quelle est sa place dans ce monde occidental. Increvable donc ! Cette zone humide de la ZAD de notre Dame des lande ! Elle sait renaître avec joie et chansons à chaque fois qu’elle est démolie par les forces de l’ordre... Comme la salamandre qui s'échappe toujours du feu, grâce à sa couche de peau humide.

crédit A.Pignocchi
En somme, un ouvrage qui nous pousse dans une expérience immersive non pas de la nature mais du monde, et à réfléchir autrement. La ZAD incarnerait-elle l’aube d’un nouveau monde équilibré? Nous met-elle une grande claque en nous prouvant qu’il est possible de vivre autrement? En considérant les humains et non humains comme des entités ayant chacune leur vision du monde a apporter pour tous se compléter ?
A méditer donc, pour reconsidérer notre statut d’humain tout simplement, et arrêter d’utiliser ce mot « nature » à tout va, qui opère une fracture nette entre nous et notre environnement. Foncez sur ce livre qui fait du bien à l'âme.
La recomposition des mondes,
Alessandro Pignocchi,
Anthropocène seuil,
15 €
Merci une fois de plus de m'avoir suivie au travers de mes coups de coeur et de mes pensées. J'éspère que ces lectures pourront autant vous sensibiliser, vous instruire et vous amuser que moi. Je vous souhaite à tous une très belle année 2020, remplie d'amour et de curiosité !
À très vite pour de nouvelles lectures !
Marie
Liens :
- Le fabuleux blog de Marion Montaigne (foncez découvrir pourquoi les bébés sont moches c'est en première page) :
http://tumourrasmoinsbete.blogspot.com
- Le site de Patrick Baud :
-Apprend à dessiner avec Salch :
https://www.youtube.com/channel/UCCC7ztiWJlXi8gqk14ZCKKA
- Le blog d'Alessandro Pignocchi :
- En savoir plus sur le terme Physis :
https://www.universalis.fr/encyclopedie/physis/
- L'article de Télérama sur Philippe Descola :
- Le collectif naturaliste qui opère sur la ZAD de Notre Dame des Landes :
- En savoir plus sur la ZAD de Notre Dame des Landes :