Se faire piquer par les pires insectes au nom de la science (et de la curiosité)
Salut mes petits curieux ! Pour fêter la sortie du nouveau format « Shot de curiosité » sur la chaîne Youtube, je vous propose un article par ici pour découvrir comment j'ai eu ce sujet en tête, et l'approfondir ensemble. Vous pouvez, avant de le lire, découvrir ma vidéo par ici :
Tout a commencé il y a quelques années, en découvrant la chaine Brave Wilderness de Coyote Peterson. Le concept ? Dans un de ses formats il expérimente les piqures d’insectes les plus atroces aux monde et se fait filmer tout le long de sa descente aux enfers physique à chaque dose de venin reçue. Sa chaîne cumule aujourd’hui 17,4 Millions d’abonnés, et ses vidéos ont largement explosé les compteurs. Le concept ne laisse pas sans réaction. Sur le coup c’est presque assez choquant à regarder : un mec s’inflige des piqures infâmes pour faire des vues, la démarche parait de prime abord complètement inconsciente et débile. Et pourtant, une certaine curiosité nous absorbe et nous pousse à regarder les images jusqu'au bout, le décalage - entre ce grand bonhomme et les petites bêtes d’à peine quelques centimètres le couchant à terre aisément - étant fascinant… Je vous laisse vous faire une idée de la chose par ici (vous pouvez avancer à 13 minutes piles pour voir la piqure) :
Sous les vidéos de notre cher Coyote Peterson on lit parfois dans les descriptions des phrases du genre « oasting the world’s 2nd most painful sting » comprendre « j’experimente la 2ème piqure la plus douloureuse au monde ». On a envie de lui dire : mais qu’est ce que tu en sais MEC en fait, qui t’a dit que c’était la deuxième piqure la plus douloureuse au monde, c’est quoi cette info ? BOUUUH MENSONGE ! On veut des noms !


Et c’est là qu’intervient Justin O.Schmidt. Justin est un entomologiste américain qui a su faire bouger la science en donnant de sa personne, croyez moi. Il est spécialisé dans les piqures d’insectes - uniquement les hyménoptères - et est célèbre pour avoir donc créé la Schmidt pain index recensant les pires piqures au monde. Alors comment on fait pour créer une échelle de la douleur ? Tu la sens arriver la réponse ? Et bien oui Jamy, en se faisant piquer, tout simplement. Justin a donc expérimenté les piqures de plus de 80 espèces différentes, soit au total plus d’un millier, sur sa propre personne.
Et dans son livre « The Sting of the wild », Justin nous explique avec tendresse et amour, à défaut de passer pour un fou, son étrange passion. Car si la démarche de Justin O. Schmidt surprend, elle a réellement permis une sacrée avancée sur la compréhension des toxines venimeuses dans le corps humain. Car ce qui sidère réellement cet entomologiste un peu fou, c’est comment une si petite dose de venin peut provoquer d’aussi vives réactions, et une panoplie de ressentis aussi extraordinaires et différents. A ses yeux, le venin est un tendre mensonge, il trompe vos nerfs si malicieusement qu’il est capable de vous faire ressentir les pires sensations que vous pourrez expérimenter de votre vie. On décrit souvent ces douleurs comme « des aiguilles dans le bras » « des coups de couteaux dans le corps », on trouve toujours des mots d’une violence infinie pour illustrer finalement une si petite goutte et un si petit dard.

Justin travaille sur les Hymenoptères qui constituent un ordre d’insectes dont les représentants communs sont les abeilles, les guêpes, les fourmis et les frelons. Les venins d'Hyménoptères sont des mélanges complexes d'amines biogènes, d'enzymes et de protéines. Ces composés, injectés dans le corps, exercent des actions conjuguées, complémentaires et synergiques, provoquant la douleur et l’irritation. Pour piquer, se sont les femelles qui s’en chargent, on pense d’ailleurs qu’avant d’avoir un dard, les femelles étaient dotées d’un ovopositeur leur permettant de pondre, et qu’avec le temps celui-ci s’est transformé en aiguillon. Elles disposent d’une glande à venin, et d’un dard qui est rétracté quand il est au repos. Au moment de l'agression, l'aiguillon sort de la chambre et pénètre dans la peau : le venin sécrété par la glande peut alors être injecté dans la victime.


Le venin a donc deux propriétés fondamentales : la toxicité et la douleur. Scientifiquement, le premier est facile à mesurer : il suffit d'observer la réponse physiologique provoquée par le venin. La douleur elle, est plus difficile, subjective. C'est là que Schmidt est intervenu. Et tôt, à 5 ans, lors d’un évènement crucial datant de sa tendre enfance où pour prouver son courage il se plaça assit sur une fourmillière et comprit que les plus petits insectes pouvaient étonnement bien se défendre grâçe au venin :
« At about five years of age, my well-being was sometimes entrusted to the care of my seven-year- old brother, my ten-year-old sister, and groups of older kids. I, as the youngest, needed to prove my worth to the group. One pleasant spring day the gang happened to notice a large mound of thatching ants from the genus Formica. These ants have no sting but produce copious quantities of formic acid, the most corrosive and acidic of the aliphatic organic acids, which they spray from the tips of their abdomens. They also bite. The combination of a solid bite breaking the skin and formic acid sprayed into the wound yields a sting-like pain. Some of the older boys dared me to sit on the ant mound, a challenge and an opportunity to prove myself that could not be missed. The ants swarmed over and under my britches and started biting my posterior. Up from the mound, down with the pants, and frantic brushing to get rid of them. No long-term damage was done, but I had learned an important lesson: insects can fight back. I continued with the group on to other adventures, a bit wiser and more experienced. Thus, my beginnings as an entomologist. » Traduction : « Vers l'âge de cinq ans, mon bien-être était parfois confié aux soins de mon frère de sept ans, de ma sœur de dix ans et de groupes d'enfants plus âgés. En tant que plus jeune, j'avais besoin de prouver ma valeur au groupe. Un jour de printemps agréable, le groupe d'enfants a remarqué un grand monticule de fourmis du genre Formica. Ces fourmis n'ont pas de piqûre mais produisent de grandes quantités d'acide formique, le plus corrosif et le plus acide des acides organiques aliphatiques, qu'elles pulvérisent du bout de leur abdomen. Elles mordent également, et la combinaison d'une morsure solide cassant la peau et d'acide formique pulvérisé dans la plaie produit une douleur semblable à une piqûre. Certains des garçons plus âgés m'ont mis au défi de m'asseoir sur la fourmilière, un défi et une occasion de prouver mon courage que je ne pouvais pas manquer. Les fourmis ont envahi mon pantalon et ont commencé à me mordre le postérieur. J'en avais partout dans le bas du pantalon, je me suis brossé frénétiquement pour m'en débarrasser. Aucun dommage à long terme n'a été causé, mais j'avais appris une leçon importante: les insectes savent riposter. Je venais de vivre mes débuts en tant qu'entomologiste. »

Quel est l’intérêt à tout ça me direz vous ? L’intérêt est d'obtenir des données concrètes sur des ressentis même si cela parait tout à fait subjectif, la notion de douleur étant en plus propre à chacun. L'échelle de Schmidt est indicative, et nombre de facteurs jouent : la dose de venin administrée, l’âge de l’insecte, la persistance horaire de la douleur, etc. Justin se base d'ailleurs sur une espèce de référence, l’abeille domestique, la notant 2/4 en estimant que presque chacun de nous a déjà expérimenté une de leur piqure, ce qui permet de s’aligner sur des ressentis sur lesquels un grand nombre de données sont disponibles. Disons qu'on est tous à peu près d'accord sur les sensations que cette piqure provoque, donc ça nous donne un bon point de départ pour l'échelle. Et grâce à tout ce travail, absurde de prime abord, Justin a fait des découvertes poussées sur comment la douleur agit dans le corps humain, comment le venin et ses toxines opèrent dans nos veines, pourquoi et comment piquent ces insectes et dans quels cas, ou encore comment mieux comprendre les douleurs chroniques et peut être même trouver des meilleurs façons de les traiter... Pas si folle la guêpe ! Après donc de longues années de recherches et de passion piquante, Justin nous dresse une échelle des piqures les plus douloureuses au monde. Et ça ressemble à ça, le tout agrémenté d’annotations à mourir de rire :

Justin O.Schmidt reçoit en 2015 un Ig Nobel pour ses découvertes. « Ig Nobel » est un jeu de mots en anglais avec l'adjectif " ignoble " et le nom " Nobel ". Ce sont des prix qui célèbrent des travaux scientifiques saugrenus, dont la devise est "faire rire, puis réfléchir ». Car les grandes découvertes scientifiques sont parfois souvent menées par des grands passionnés qui dépassèrent des limites complètement folles pour « la science », ou pour assouvir une curiosité qui les emporta au delà des murs d’un laboratoire.


Tiens, d’ailleurs, connaissez vous l’histoire de Stubbins Ffirth? C'était un jeune médecin qui en 1793 lors de la terrible épidémie de fièvre jaune - qui tua 5000 personnes à Philadelphie- émit l’hypothèse que la fièvre jaune n’était pas une maladie contagieuse, mais plutôt causée par le climat estival. Pour prouver sa théorie, il fit preuve d’une grande créativité dans une série d’expériences peu ragoûtantes à base de vomi contaminé. Oui oui. Ffirth incisa ses bras pour y verser du vomi de patient infecté et voir si la contamination faisait effet. Puis il s’en versa dans à peu près tous les plus chouettes endroits de son corps, dans ses yeux par exemple, puis fit chauffer du vomi dans des jolies petites casseroles pour en inhaler les vapeurs. Et comme ce n’était pas assez, il termina par en boire. Après ces expériences, il resta en bonne santé, preuve ultime à ses yeux que la fièvre jaune n’était pas contagieuse. 60 ans plus tard on découvrit que celle-ci était en fait causée par les moustiques. Merci cher monsieur Ffirth. Pour en revenir à Schmidt, voici une anecdote est assez drôle ! Justin a donc reçu un Ig Nobel, et en même temps qu'un certain dénommé Smith. Au delà des noms qui se ressemblent fortement, leurs passions se rejoignent également pour notre plus grand bonheur. Sauf que Smith a un amour prononcé pour les abeilles. Tellement prononcé qu’il a voulu établir une carte des zones du corps les plus sensibles aux piqures de celles-ci, en se basant sur les recherches de Schmidt. Beh oui, car il estime que la douleur varie en fonction des zones piquées, et que donc ça serait pas mal de savoir comment variait ces ressentis en fonctions des endroits touchés. Et comme le travail de Schmidt l'avait inspiré, il garda l'abeille domestique en réference, et se fit piquer absolument dans tous les endroits de son coprs, même les plus gênants. Voici donc sa carte du piquage pas cool :


Pour clore cet article, voici un moment beaucoup trop cute : Coyote Peterson rencontrant Justin O. Schmidt en chair et en os.
Ça permet d’écouter Schmidt parler de son travail de vive voix, et si vous voulez en savoir plus foncez sur son livre « The Sting of the wild ». N’ayez pas peur de le lire car c’est plutôt l’histoire de sa démarche, avec un côté curieux et autobiographique qu’un pavé rempli de données scientifiques (Schmidt réserve ça pour ses publications scientifiques). Et en plus, c’est drôle (par contre ce n’est disponible qu’en anglais).
Allez, moi je vous dit à bientôt pour un max de nature insolite et de rigolade, bonne rentrée à tous ! Marie N'hésitez pas à me suivre sur Twitter @curiosiboite
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SOURCES
- Le livre de Justin O. Schmidt "The Sting of the wild" est disponible aux éditions Johns Hopkins University Press et est récit ultra passionnant et vous fera découvrir tout le travail de Justin ! - Un papier rédigé et publié par Schmidt "Pain and Lethality Induced by Insect Stings: An Exploratory and Correlational Study" : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/arti... - Un article résumant la démarche de Schmidt : https://www.smithsonianmag.com/scienc... - Une jolie page du muséum d'histoire naturelle de Londres vous propose de découvrir l'échelle de Schmidt en ligne : https://www.nhm.ac.uk/scroller-schmid... - Les hymenoptères : http://tolweb.org/Hymenoptera
- Venins d'insectes toxiques : http://entnemdept.ufl.edu/walker/Ufbir/chapters/chapter_23.shtml
- Un ancien petit palmarès rigolo des Ig Nobel : https://www.cafe-sciences.org/le-palmares-des-ig-nobels/
- Encore plus de Ig Nobel :https://www.improbable.com/ig-about/
- Pour découvrir les études de Smith sur les zones de piqures les plus douloureuses du corps: https://www.telegraph.co.uk/news/science/science-news/11872697/Scientist-who-let-bees-sting-him-on-25-different-body-parts-awarded-Ig-Nobel-prize.html
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3994616/
- Plus de Smith : https://www.theguardian.com/environment/2018/may/11/experience-i-have-been-stung-by-150-species-of-insect